Exclusivité Tolkiendrim – Interview de D. Falconer et R. Taylor

Découvrez l’interview de Daniel Falconer (designer des armes et armures) et de Richard Taylor (fondateur et responsable WETA Workshop) réalisée lors du passage de Benjamin sur le tournage du film Le Hobbit !

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Crédit photo: Wetaworkshop.com

 

Daniel Falconer (Armes et armures designer) et Richard Taylor (fondateur et responsable WETA Workshop) viennent nous parler du travail de Weta Workshop sur le Hobbit.

 

Dans le troisième volet, votre inspiration pour les armures des hommes semble venir d’Asie. Les casques font penser à la culture Mongole. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Richard Taylor : – C’est un choix, nous voulions rendre hommage à certaines références de la culture des hommes (…). Nous ne voulions pas reproduire à l’identique, au point qu’en regardant le film vous vous seriez arrêté en disant : « Oh ! Il est Mongol ! » Mais nous avons essayé de donner de la crédibilité à l’ensemble en faisant, par petites touches, référence à des détails historiques à travers les armes et les armures.

… De manière à donner l’illusion que cette aventure a réellement eu lieu il y a très longtemps ?

Richard Taylor : – C’est exactement cela. De manière générale nous sommes restés fidèles à ce qui était techniquement réalisable durant la période médiévale, dans notre propre Histoire. À cette époque, on ne savait pas produire en masse, comme lors de la révolution industrielle. Il y avait des forges, et tout devait être fait à la main. En respectant ces règles, on peut offrir un monde de « fantasy » crédible. Mais comme on veut aussi que les armes soient originales, uniques et fantastiques pour que le film soit riche, Il y a une ligne très facilement franchissable. Vous devez donc « danser » délicatement autour de cette ligne.

Par exemple, sur une échelle de 0 à 100, si un documentaire vaut 0% et que le film Krull (film « d’ Heroic fantasy » de 1983. Ndlr) en vaut 100, nous essayons d’être à 49%. C’est donc beaucoup plus proche de Braveheart que de Krull. Sur Le Hobbit, cependant, ceci a évolué, parce que nous avons tous mûri et que nous avons gagné la confiance des gens, de ceux qui adorent les livres. Cela nous permet de prendre plus de risques avec eux, comme d’appuyer sur le côté « fantasy », d’expérimenter.

 

Sur votre écran, nous voyons actuellement une illustration. Il s’agit de Dáin, arrivant sur son char, tracté par deux énormes sangliers. Allez-vous utiliser cette illustration pour créer les images de synthèses ?

Richard Taylor : – Elle fait sans doute partie d’une centaine d’illustrations faites par l’artiste. Pour Le Seigneur des Anneaux nous avions livré pas moins de mille illustrations pour concevoir les trois films, neuf heures de cinéma. Daniel en a probablement dessiné un cinquième. Pour Le Hobbit nous en livrerons dix mille.

Daniel Falconer : – C’est le dessin numéro 8085 et il date d’il y a trois mois.

Richard Taylor : – C’est sans doute la meilleure façon de répondre concrètement au souhait de Warner Bros. et de Peter, que de leur montrer concrètement que Le Hobbit ne se contente pas de revenir dans les mêmes lieux. Nous sommes dans le même monde, mais pas au même endroit, et nous devons rendre hommage à tous les fans de la première heure, en leur assurant qu’ils verront quelque chose d’original, de nouveau et de passionnant. De plus, nous ne sommes qu’une petite partie du processus de conception, il y a bien sûr le département artistique qui a, lui aussi, fait de nombreux dessins.

 

Allons-nous voir de nouvelles créatures dans le troisième film ?

Richard Taylor : – Oui, un nombre phénoménal de nouvelles créatures, principalement dans le troisième film. D’énormes trolls et machines de guerre, et des créatures élevées pour combattre viendront se joindre à la bataille. Certains risquent de polémiquer : «Oui, mais ça n’apparaît pas dans le livre ». Cependant, si l’on creuse plus en profondeur dans l’histoire littéraire de Tolkien, on retrouve tout cela dans ses écrits. Tout ce que nous réalisons a été décrit à un certain niveau au moins une fois, et les livres sont une très grande source d’inspiration.

C’est comme pour les armures, qui ont été conçues pour la Bataille des Cinq Armées. Cela a été le travail de Nick Keller (Responsable concepteur graphique à Weta Workshop – Ndlr), de faire des recherches approfondies. Nous essayons de trouver des modèles d’armures aux caractéristiques visuelles bien définies, c’est essentiel. Dans une séquence de bataille, on ne peut pas courir le risque que l’ensemble des combattants deviennent une masse homogène, et que cela ressemble à une sorte de « papier peint ». Vous devez créer un motif emblématique qui permettra à un personnage d’être un « phare » parmi le « bruit ».

La plupart du temps, dans une bataille, un Nain ne sera vu uniquement que par la hache qu’il lèvera au-dessus de sa tête. Lorsqu’il est debout, il ne dépassera pas les épaules de n’importe quel autre ennemi. Il est donc essentiel que nous reconnaissions immédiatement le signe emblématique de son arme. Pour Dáin nous avons mis une crête sur le dessus de son casque, de telle sorte qu’à la vue de sa silhouette, nous sachions instantanément qui il est, où il est, et ce qu’il fait dans la bataille, exactement comme dans un jeu vidéo, lorsque vous avez une icône au-dessus de la tête du joueur que vous incarnez.

Bien sûr, nous devons le faire avec infiniment plus de subtilité, et vous pouvez voir le travail expérimental qui a été mis en place pour essayer de trouver ces idées. Cette armure est désormais conçue, et cela vous montre le degré important de « fantasy » que nous injectons dans notre travail, parce que l’on sait que le film peut le supporter sans que l’histoire soit dénaturée.

 

Richard TaylorRichard Taylor (Crédit photo : Wetaworkshop.com)

  

Alan Lee et John Howe ont une grande influence sur le rendu artistique des films. Avez-vous d’autres sources d’inspirations ?

Richard Taylor : -Tout d’abord, c’est assez évident, mais c’est toujours dans ses propres rêves qu’on les trouve, dans sa propre inspiration. Pour ces films, comme pour tous les films que nous faisons, Les hommes et les femmes qui les ont conçus ne se sont pas inspirés de ce qu’on trouve sur Internet. Vous ne trouverez jamais une bonne idée originale sur Internet, car si vous en trouvez une, c’est l’idée de quelqu’un d’autre. Alors nous ne passons pas notre temps à y repérer des milliers de photos.

Par contre, nous nous inspirons beaucoup de microphotographies d’insectes. Depuis trois ou quatre ans, ont été publiés quelques livres ahurissants sur les animaux du monde, en photographies numériques haute définition, prises en studios. Voilà ce vers quoi nous nous tournons. Nous avons aussi la chance d’avoir un paléontologue amateur parmi nos sculpteurs, et nous pouvons alors nous tourner vers des gens comme lui, si nous avons besoin de faire une double vérification.

Un Balrog ne peut pas être simplement une créature de « fantasy », il doit à la fois ressembler à un taureau, avoir les réalités physiologiques d’un lutteur de Sumo, et être rattaché au monde connu. Ensuite seulement, vous lui associez ce qui lui donnera la touche Tolkien.

 

Vous inspirez-vous également des créatures sous-marines ?

Richard Taylor : – Je me rends souvent dans des « fish-and-chips » avec mes enfants, et l’étalage des poissons présentés est la raison pour laquelle nous y restons si longtemps. Je n’ai pas une grande connaissance dans le domaine scientifique, mais au niveau de la conception et de l’évolution, il y a un millier de grandes idées à puiser dans cet étalage.

À propos du film Avatar et de notre travail sur la conception des Na’vi, vous pouvez remarquer que beaucoup de la faune et de la flore de Nouvelle-Zélande y sont représentées. Nous avons beaucoup de chance. Les gens nous demandent: « Comment faite-vous pour concevoir des choses si originales ? Vous semblez ne jamais avoir besoin de l’aide d’autres studios, ni des travaux fait sur les autres films à travers le monde ? ». C’est parce que nous vivons dans un endroit vraiment unique.

Nous puisons dans la culture du Pacifique, dans laquelle nous vivons, et ce passé est très inspirant pour Daniel, comme pour tous ceux qui travaillent à Weta Workshop. Lorsque l’on conçoit une race comme celle là, les casques pourraient tout aussi bien avoir été inspirés par les épines des haies que nous avions tout autour de notre ferme…

 

Nous voyons des illustrations d’orcs sur votre écran, qu’ont ces orc de spécial ?

Richard Taylor : – Lorsque vous utilisez des prothèses, vous êtes très restreints. Nous sommes de grands fans de prothèses, c’est ce que nous faisons pour gagner notre vie. Mais nous sommes limités par deux triangles physiologiques. Nous pouvons agrandir les yeux avec des effets numériques, ou étirer numériquement le visage et les membres, mais si vous voulez une bouche articulée et des yeux qui font passer une émotion, vous devez garder une bouche et des yeux humains.

Le problème est qu’alors vous êtes soumis au triangle du visage (rapport distance/taille entre les yeux et la bouche). De la même façon, si vous voulez une mobilité totale lorsque vous mettez quelqu’un dans un costume, il y a un triangle qui part de sous les bras jusqu’à l’aine. Vous pouvez descendre les bras ou les jambes avec des prothèses, mais bien sûr cela vous limite.

Ce que nous avons essayé de faire ici, c’est de nous libérer de cette contrainte de conception, en créant un certain nombre de personnages numériques. Ici (Richard Taylor nous montre une illustration. Ndlr) les Orcs ont muté dans leur ADN, et nous n’avons plus à nous conformer à ces deux triangles. Par exemple, nous pouvons déplacer les yeux sur les côtés de la tête, comme un prédateur, et à présent son regard se rapproche plus du loup que du primate.

 

A propos de la mythologie créée par Tolkien, pourquoi ces orcs ont-il muté ? D’où viennent-ils ?

Daniel Falconer : – Même dans les écrits de Tolkien, il y a des variations entre les différents orcs. Il y a même une scène entière dans le livre « Le Retour du roi » dans laquelle des orcs de types différents se battent entre eux. Nous utilisons donc cela comme point de départ et nous l’extrapolons. Nous suggérons qu’il n’y a pas seulement un ou deux types d’orcs, mais peut-être une demi-douzaine, voir même des hybrides dans certaines zones. Il existe un archétype d’orc, mais ensuite il y a toutes sortes de variantes. Pour le film, Peter voulait garder un côté neuf et surprenant.

10814306_10152898715384769_498972963_nDaniel Falconer (Crédit photo: Wetaworkshop.com)

 

 

Certaines créatures ont un rôle plus important dans l’histoire, comme Azog par exemple. Quels sont les défis que cela implique, de créer ces personnages et de faire en sorte qu’ils ne dénotent pas, par rapport aux autres créatures extraordinaires que vous avez déjà réalisées ?

Richard Taylor : – Cette seule question a probablement occupé une centaine de personnes dans notre bâtiment pendant deux ans, car c’est un défi de taille. J’adore observer les gens. Quand je nous regarde, moi et Daniel compris, pour la plupart nous sommes relativement dans la moyenne. Je vois deux exceptions, pourtant : cette jeune femme et ce jeune homme, ici (Richard s’adresse à deux des journalistes présents. Ndlr). Si vous deux habitiez en Nouvelle-Zélande, je vous donnerais probablement ma carte en disant « si un jour vous souhaitez devenir une créature dans l’un de nos films, s’il vous plaît, appelez moi » !

Daniel Falconer : Je pense qu’elle est définitivement une elfe !

Richard Taylor : – Nous cherchons des gens différents. Vous deux avez une apparence particulière, au delà de la norme, pas banale du tout. Vous, par exemple, vous avez un visage allongé, très fin, vous devez être originaire d’Europe du nord. Pour vous, en revanche, je ne suis pas certain de l’endroit d’où vous venez, mais vous avez des yeux en forme d’amandes, avec un angle légèrement incliné, vraiment excellent. la distance entre votre paupière supérieure et vos sourcils est grande, et cela vous fait un regard très ouvert. Mais ce qui est le plus singulier chez vous c’est bien sûr vos pommettes angulaires.

Les prothèses que nous pourrions créer à partir de ces deux visages permettraient de modifier de façon significative la forme classique d’un visage humain. C’est exactement ce que nous avons commencé à faire. Cependant nous ne pouvons pas nous permettre d’être trop excentriques, bien que le maquillage de John Merrick ait sans doute été le plus critiqué, lorsque nous avons créé Gothmog dans le « Retour du roi ». J’aime Gothmog. C’est Peter Jackson qui nous a poussé à le faire. Nous sommes des créateurs courageux, mais souvent nous ne le sommes pas suffisamment pour y aller de nous même.

Peter a une vue d’ensemble sur le film, ce qui lui permet d’aller encore plus loin. Nous inventons des objets qui sont susceptibles d’être des armes puissantes pour une personne d’1m20. Mais lorsque nous la montrons à Peter il nous dit : « Non, non, je veux le grand modèle, pas la petite arme, où est la grande arme ? » Aucun soldat dans l’histoire ne pourrait manier une telle arme, c’est une impossibilité physique. Mais ces personnages ne sont pas humains et si Peter nous dit, à travers l’histoire qu’il nous raconte, qu’ils ne sont pas humains mais surhumains dans leur force et leurs aptitudes, alors cela nous permet de le faire. Nous ne savons pas ce qu’il nous est possible de faire, tant que Peter ne nous le dit pas. Voilà à quoi je me réfère.

 

John Howe (illustrateur et amateur d’armes médiévales. Ndlr) vous a-t-il aidé pour la conception des armures ?

Richard Taylor : – Oui, John est une source d’inspiration permanente incroyable pour nous, tout comme Alan Lee. Cependant, en raison de leur emploi du temps très, très chargé, nous n’avons pas pu travailler avec eux aussi pleinement que nous l’avions fait sur le « Seigneur des Anneaux ». Par contre, ils nous ont formé durant les sept années qu’aura duré le développement de la première trilogie, sur la conception d’armures médiévales et sur le monde de la fantasy. Grâce à cela, notre équipe actuelle a été bien mieux préparée pour la réalisation du travail que nous avions à faire.

Quand j’avais quinze ans, j’étais dans un pensionnat de garçons maoris. Il n’y avait pas de département artistique. J’étais le premier enfant à faire de l’art, là-bas. Au lycée, en seconde, j’ai gagné un prix artistique de vingt dollars. Je suis allé dans la ville locale, une petite ville de campagne en Nouvelle-Zélande, dans la seule librairie du coin. Il avait un livre d’art à vendre et c’était « Faeries » par Alan Lee et Brian Froud. Je l’ai acheté avec mes vingt dollars, et en lisant ce livre, j’ai franchit l’un des plus magnifiques portails vers un monde imaginaire, j’ai adoré leur Art.

C’est curieux, parce que presque toutes les personnes de l’équipe de conception a vécu la même histoire, autour de ce livre. C’est un peu notre pierre angulaire à tous, et vingt-huit ans plus tard, Alan Lee franchit la porte d’entrée de l’immeuble ! Vous pouvez imaginer le choc que cela a été, d’autant qu’il était suivi par John Howe !

Vous aviez de nouveau quinze ans !

Richard Taylor : – Oui, j’ai retrouvé mes quinze ans, et j’avais toujours ce livre. Je l’ai ouvert, il y avait encore à l’intérieur le document qui disait que je l’avais gagné, et je l’ai montré à Alan afin de lui exprimer l’influence qu’il a eu sur nous. Peter a regardé chaque oeuvre d’art inspirée du monde de Tolkien au cours des cinquante dernières années. De tous les artistes, il a choisi Alan et John pour apposer leur style dans ce monde, dans son architecture et sa culture, parce qu’ils le font avec respect et réalisme dans leurs dessins.

 

Est-ce que certains de vos concepteurs ont été influencés par le Seigneur des Anneaux et sont ici grâce à ce film ?

Richard Taylor : – Tout à fait. La moitié des gens qui se trouvent à l’atelier. Nous avons un certain nombre de personnes qui nous ont rejoint à travers le monde, et qui ne sont là que parce qu’ils ont vu Le Seigneur des Anneaux. C’était si important pour eux, qu’ils ont pris l’avion, puis loué un appartement ici. C’est le cas de deux personnes à l’atelier, ils ont pris un appartement de l’autre côté de la route. Ensuite ils ont attendu, et attendu encore, afin de passer un entretien. L’un d’eux a attendu deux ans et demi avant que nous ayons la possibilité de le prendre. A présent, ils font partie des piliers de notre personnel.

J’ai rencontré des fans à certains Comic-Con qui sont aujourd’hui des membres importants de notre personnel. C’est beau. Curieusement, les gens pensent qu’être fan signifie en quelque sorte être éloigné des cinéastes. Les fans de Tolkien sont des personnes très instruites, d’inspiration littéraire, et sont surtout très adultes. Ils sont exactement comme nous. Alors, avec certains fans, nous sommes effectivement devenus des amis très proches. C’est presque inapproprié de les appeler « fans », d’ailleurs, parce qu’ils sont beaucoup plus que cela. Ils sont des supporters, incollables sur ce que nous faisons.

Daniel Falconer : – Parfois nous allons à des conventions et les fans nous font part de leurs préoccupations, de leurs pensées ou de leurs réactions, et cela fait écho aux mêmes conversations que nous avons en interne lorsque nous travaillons. Il n’y a vraiment pas beaucoup de différences, sauf que nous faisons des films et pas eux. Mais nous sommes fans du même projet. En fait Richard, tu me qualifies gentiment d’expert et c’est très généreux de ta part, mais je suis juste un fan enthousiaste (rires).

 

Jusqu’à quel point approfondissez-vous le processus de création d’une arme comme celle que nous voyons actuellement sur la table devant nous ? Vous posez-vous la question des dégâts qu’elle est capable de faire sur un personnage ? Si vous me frappiez avec, en pleine figure, quel genre de blessure me ferait-elle ?

Richard Taylor : – En ce qui concerne l’évolution de l’arme, nous avons cette conversation après l’avis de Peter, parce que nous ne nous encombrons jamais du côté pratique et restrictif, afin obtenir un bel objet. Nous concevons à la limite de ce que Peter pense être adapté dans l’univers de ce film, mais une fois conçu, il devient essentiel de savoir comment manier cette épée, et quel sera l’impact qu’elle laissera. Voyez, ici nous avons un sabre à une main. Ce n’est pas un fleuret, ni une rapière, alors vous allez combattre d’une certaine manière, et par conséquent vous infligerez une certaine blessure, contrairement à cette autre arme là bas, qui ne coupe pas mais qui écrase (Richard nous désigne une grande masse à deux mains. Ndlr).

En réalité, dans les batailles médiévales, la plupart des gens ne mourait pas suite à un coup direct, mais à cause de l’écrasement de l’armure sur les membres.  Il ne s’agissait pas de tuer quelqu’un, mais de le rendre inapte au combat. Vous vous dites alors : «Que cela change-t-il au déroulement de l’histoire ?» Ça veut dire que, sur le terrain, vous pourriez avoir une armée de blessés qui essaient de se battre, mais qui ne seraient plus en mesure de tenir sur leurs jambes. Au niveau de l’animation ça devient tout à coup problématique. À l’opposé vous avez ce sabre, pas assez grand pour couper un corps en deux, comme cette hache là-bas pourrait le faire, mais capable de couper un membre et de mutiler gravement, comme un glaive romain le ferait.

Daniel Falconer : – Quand nous concevons une arme comme celle-ci, nous pensons aux mouvements qui seront réalisés et au style de combat utilisé. A l’époque du « Seigneur des Anneaux », lorsque nous avons commencé à décider de la différence entre un elfe, une arme Elfique, un style de combat Elfique, face à un Nain ou tout autre personnage, nous sortions parfois dehors et jouions réellement avec ces armes afin de les essayer.

Il s’agissait de voir comment nous nous sentions en les manipulant, et quel genre de posture cela nous demandait d’avoir. Les armes elfiques sont souvent de grandes lames, longues et incurvées, de sorte que l’on fait de grands gestes, alors que les armes des Nains tendent à être plus trapues, piquantes et courtes.

Richard Taylor : – Regardez l’armure des Nains et l’architecture des motifs graphiques. Ces gars-là sont des mineurs. Ils sont influencés par la structure cristalline du sol sous la montagne. Cela a une incidence directe sur les formes et sur leur inspiration architecturale.

C’est la même chose avec les elfes, on retrouve l’élégance dans leurs combats, dans leur manière de manier l’épée, dans la façon dont leurs armures bougent, dans les tissus utilisés, dans leurs motifs iconiques, dans leur architecture, leur littérature, etc… vous devez créer une toile de fond qui reprend l’évolution et les motivations culturelles du film, si vous voulez que le design soit cohérent et dynamique. Une métaphore visuelle, c’est ce vers quoi les concepteurs tendent à aller.

 

Quand vous regardez cette arme, et ensuite que vous la voyez à l’écran, c’est un peu votre pierre de Jade*, n’est ce pas ?

(* Greenstone ou Pounamu – Dans la culture Maori, le Jade est Considéré comme un Taonga, ou trésor. Il représente le lien qui unit la communauté à la terre ancestrale, et symbolise la vie et le mana (force) de celui qui le possède. Les Maoris fabriquaient des armes et des ornements en néphrite (jade), notamment des masses courtes. Ndlr)

Richard Taylor : – Oui, tout à fait, c’est notre Pounamu. Bien vu ! A chaque fois que nous faisons un film, nous essayons de le faire. Celle-ci est une arme pour les cascadeurs, hélas, elle est légère. La vraie est faite de telle façon que la lumière passe à travers. On essaie toujours, dans chacun de nos films, que ce soit dans Avatar, Congo, ou dans Le Seigneur des Anneaux, de rajouter une petite touche de notre héritage culturel et de notre pays, en utilisant un peu de Jade.

Daniel Falconer : – C’est aussi une opportunité de plus de donner à un personnage un signe distinctif que les spectateurs peuvent relever. « C’est celui avec la hache verte, et il y a pas mal de vert sur son armure !  » Ça se voit bien.

 

Quelles sont les difficultés techniques que vous rencontrez ? Vous limitez-vous essentiellement à la période médiévale ?

Richard Taylor : – La chose intéressante avec Tolkien, c’est qu’il ne s’est pas restreint comme nous le faisons. Cul-de-Sac en est un excellent exemple. Vous avez une horloge sur le mur, et vous avez du verre aux fenêtres. C’est un verre intéressant car suffisamment clair pour que vous puissiez voir à travers. Tolkien « voit » Gandalf comme il le décrit dans le livre, ce n’est donc pas du verre filé, dont c’était la forme commune pendant environ trois cents ans avant l’invention du verre laminé à froid. On retrouve ainsi de l’industrie artisanale anglaise de la fin du XVIIIe siècle dans Cul-de-Sac.

Si vous allez au Gondor, vous trouverez des armatures de fenêtres en fonte comme au XIVe siècle. Et dans le Mordor vous repartez au onzième siècle, avec de la fonte et des moules en sable. On remplit des moules à chauds, mais on travaille des métaux grossiers. Si vous vous en souvenez, dans le « Seigneur des Anneaux », on y voit une meule à pied et l’un des orcs y affûte son arme. Ainsi, ils ont réussi à mélanger des matériaux abrasifs dans une pièce moulée, ce qui n’est apparu qu’à une période particulière de l’histoire.

Tout est un peu mélangé. Alors nous essayons de démêler tout cela, et d’instaurer une chronologie à ce développement technologique. Nous sommes très chanceux que Peter, notre maître d’armes et principal fabricant d’épée, qui est là depuis le début du «Seigneur des Anneaux », en fabrique ici, à temps plein, depuis maintenant quatorze ans. Il ne fait que ça, des épées de héros. Quand on ne travaille pas sur un film, les gens de chez Warner Bros. nous ont gracieusement donné une licence pour faire dix exemplaires d’épée de chaque héros que nous avons créé. Les gens viennent du monde entier pour venir en acheter une, ces objets sont si précieux pour ceux qui les achètent.

Nous avons eu la visite du propriétaire d’un magasin yougoslave qui avait utilisé son revenu annuel pour se payer le billet d’avion. Il n’était là que pour une journée afin d’acheter une de ces épées à la WETA Cave. Ensuite il est repartit à pied jusqu’à l’arrêt de bus, pour aller à l’aéroport et rentrer chez lui. Quelqu’un est venu m’en parler à l’atelier. Alors j’ai dit: « Vite, vite, allez le chercher ! » Ils ont couru, l’ont rattrapé, ramené ici, et pendant le reste de l’après-midi, je lui ai fait une visite guidée de l’atelier. Il en pleurait. Il était si passionné par cette oeuvre, d’abord par le livre, mais ensuite aussi par le film ! C’est la raison pour laquelle c’est une question intéressante, que vous posez là. Nous essayons de rendre un hommage respectueux à plusieurs cultures européennes, et en particulier celles du Nord.

Dans Le Hobbit nous avons exploré un peu plus les cultures asiatiques, comme vous l’avez vu. J’ai passé les quatorze dernières années à faire des affaires en Chine. J’ai commencé à faire des « collections », mais avec deux partenaires commerciaux, l’un pour la conception de cottes de mailles légères et l’autre pour des oeuvres en bronzes. Cela m’a aidé formidablement à comprendre l’histoire militaire chinoise et asiatique. Je m’y suis plongé et j’ai beaucoup appris.

peter-lyonPeter Lyon (Crédit photo: TheOneRing.net)

 
 

Richard Taylor : – Désolé, j’avais commencé à vous parler de Peter Lyon, notre fabricant d’épée… Nous sommes très heureux, il est non seulement un grand fabricant d’épées, mais son talent est tel qu’il est le seul à avoir une de ses collections personnelles au sein de la Royal Armory à Leeds, dans l’Armurerie de la Reine. Ils collectionnent ses épées. Ils n’en ont aucune dans leur collection qui n’ait été forgée par un fabricant historique, en dehors de celles de Peter. Et lui, qui n’avait jamais voyagé en dehors de la Nouvelle-Zélande jusqu’à il y a encore deux ans, a été invité à venir au Leeds Armory et à donner des conférences.

Peter est extrêmement bien informé sur l’histoire de l’escrime, sur la fabrication des épées et en particulier de celles du Moyen-Orient entre le XVe et le XVIIe siècle. Il est effectivement considéré comme étant un très grand connaisseur, ​​et vient d’écrire la préface d’un livre de référence traitant de la fabrication d’épées de cette époque. Alors, naturellement, nous nous sommes tournés vers lui lorsque nous avons commencé à chercher des influences mongoles, sud-asiatiques et chinoises pour le design de nos créations.

 

– Fin de l’interview –

Retour vers le journal de Benjamin sur le tournage du Hobbit : jour 2

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