Exclusivité Tolkiendrim – Interview d’Eric Saindon

Découvrez l’interview d’Eric Saindon – superviseur des effets spéciaux sur Le Hobbit – réalisée lors du passage de Benjamin sur le tournage du film !

Eric SaindonCrédit photo : Warner Bros.

 

Eric Saindon nous explique sa présence sur le plateau :

Pouvez-vous nous expliquer le rôle de Weta Digital sur le plateau de tournage ?

Eric Saindon : – Notre rôle ici est de rassembler toutes les informations dont nous avons besoin pour la post-production. C’est pour nous en assurer que nous prenons des photos de tous les acteurs, que nous faisons des scans corporels en 3D de chacun d’entre eux. Nous faisons de même pour tous les décors, de sorte que pour chaque ensemble, dont celui-ci, (ici le décor de Dale. ndlr), nous ayons une version numérique complète de tout ce qui est filmé. Ainsi, chaque lieu de tournage, chaque décor est modélisé en 3D afin de tout remettre dans le bon espace. Nous devons connaitre exactement les dimensions, la taille de chaque objet. Nous ne pouvons pas faire semblant, comme nous avions l’habitude de le faire pour « Le Seigneur des Anneaux ».

Si quelque chose n’allait pas, nous mettions une touffe d’herbe à l’écran sur la zone qui posait problème. C’était ce que nous avions toujours fait. Dans le monde de la 3D, nous devons tout intégrer dans le bon espace et à la bonne profondeur. La mise en place est beaucoup plus complexe, en matière d’effets visuels. Ainsi, nous réunissons désormais beaucoup plus d’informations. Nous discutons sans cesse avec Peter Jackson afin de nous organiser au mieux, et d’obtenir des écrans verts quand cela est nécessaire. Parfois c’est plus complexe. Certains de nos écrans verts fonctionnent mieux que d’autres, mais nous avons un département spécialisé, heureusement, afin que nous puissions remplacer la moindre chose qui ne fonctionnerait pas.

Que faisons-nous d’autre ? Parfois, vous voyez un homme tenant une boule grise et argent (chrome) marcher à travers le décor. C’est pour deux raisons. Le gris sert à obtenir la couleur. Nous savons de quelles couleurs sont les lumières sur le plateau. Donc, si nous faisons des ajouts numériques, nous pouvons recréer la couleur de ces ajouts. Le chrome, lui, nous sert à obtenir les positions des lumières. Ensuite nous implantons cette sphère de chrome numériquement en utilisant le même éclairage. C’est de cette façon que nous essayons d’intégrer des personnages de synthèse, des environnements, ou ce genre de choses. C’est une idée générale de ce que nous faisons. Au jour le jour, c’est toujours différent, mais c’est une vue approximative du travail que je fais ici.

 

La plupart du temps, augmentez-vous la profondeur de la 3D plus que l’oeil humain ne le ferait, afin de créer des effets plus importants ?

Eric Saindon : – Nous essayons de le faire parfois, mais cela dépend de la prise de vue. Plus l’effet est exagéré, plus l’objet ressemble à une miniature, et plus cela ressemble à une miniature, plus on a l’impression que c’est filmé en images de synthèse. C’est la raison pour laquelle nous essayons de travailler sur l’idée que tout est une fenêtre, que l’écran est une fenêtre et que vous voyez à travers elle. Lorsque nous voulons que quelque chose aille vraiment vers votre visage, nous pouvons évidemment jouer un peu avec les effets, mais si l’on joue trop avec eux, cela a tendance à casser l’effet et à vous sortir du film.

La 3D doit vraiment être utilisée pour vous donner la meilleure perspective. Nous nous assurons que les marqueurs sur les décors et sur certains acteurs soient bien en place, afin de pouvoir ajouter les effets spéciaux, comme des créatures supplémentaires ou des décors, et ce de la meilleure façon qui soit, afin de rendre l’ensemble le plus réaliste possible. Nous respectons la sensation de la vision humaine.

 

Quelles sont les parties les plus difficiles de votre travail ?

Eric Saindon : – C’est principalement l’inconnu, comme les scènes filmées qui vont être utilisées ou pas. Parfois, on ne le sait que très tardivement. Une scène peut être terminée et soudain quelqu’un vient et dit : « …ça pourrait être mieux si nous pouvions ajouter ceci ou cela » et nous n’y sommes pas toujours préparés, alors nous essayons de tout anticiper au maximum.

Dans le monde des effets spéciaux, la chose la plus difficile, ce sont encore et toujours les effets du type : l’eau, le feu, la fumée. Notre bestiaire de créatures est vraiment bon. Nous avons un excellent logiciel du système musculaire, nous avons la peau, le regard des créatures est vraiment bien fait aujourd’hui, et nous pouvons le faire très rapidement. A l’époque où j’ai travaillé à l’élaboration de Gollum, il y a dix ans, il s’est passé presque deux ans avant de le voir apparaître à l’écran. Alors que nous avons conçu Azog en moins d’un mois pour le premier film. C’est impressionnant de voir ce qu’on peut filmer rapidement aujourd’hui.

 

Vous avez décidé de changer le personnage d’Azog !

Eric Saindon : – Oui, oui, il est passé par quelques modifications. La conception finale s’est faite un mois avant la sortie du premier volet. Ce mois-ci, nous avons mille quatre cent scènes, je crois. Donc nous avons beaucoup tourné durant le dernier mois pour ce dernier film. Mais pour revenir sur les effets comme l’eau ou le feu, notre bibliothèque est très riche et désormais beaucoup plus réaliste. Par contre, cela demande beaucoup plus de puissance de traitement, donc c’est toujours difficile. Chaque mois, nous changeons quelque chose dans notre bibliothèque. Nous changeons la façon dont nous faisons les choses. Depuis le tournage d’origine, nous avons mis à jour nos scanners, notre scanner 3D. Auparavant, la résolution de ce que nous scannions était au millimètre près, désormais nous arrivons au dixième de millimètre pour la résolution des textures, des rochers, pour la résolution de quoi que ce soit.

 

Votre logiciel « Tissue » a évolué lui aussi !

Eric Saindon : – En effet. Les systèmes musculaires que nous créons sont plus précis. Même sur Avatar, nous faisions des muscles, mais des muscles très simples. Pour les personnages, notre système facial était basé sur des formes simples. A présent, nous mettons des muscles dans le visage de tous les personnages. Ainsi, plutôt que de créer une expression « Voici la forme du visage quand il sourit » cela devient « Voici les muscles à tirer pour déformer l’aspect de son visage quand il sourit ». Cela nous donne beaucoup plus de détails et de réglages fins.

 

L’évolution des technologies va si vite. Pour ce film, essayez-vous de limiter cette évolution dans un souci de continuité ?

Eric Saindon : – Nous ne le faisons pas, et cela nous embête. Entre les films, nous sommes toujours en train de changer les choses, même sur une trilogie. Comme pour le personnage d’Azog, par exemple. Celui utilisé pour le dernier film sera complètement différent de celui du premier film. Ainsi, le système musculaire, la peau, les détails, tout sera différent parce que nous aurons évolué. C’est ce genre de choses que beaucoup de sociétés d’effets spéciaux n’aiment pas dans le changement, mais nous voyons cela comme le seul moyen de rester à la pointe de l’évolution. Même lorsque ce n’est pas le meilleur moment pour le faire, nous acceptons ce fait car l’évolution est la seule façon pour nous de rester au top.

 

Y a-t-il quelque chose de spécial dans la scène d’aujourd’hui qui vous intéresse particulièrement ?

Eric Saindon : – Il y a des choses à venir, quelques créatures en images de synthèse, et il sera intéressant de voir comment nous allons les mettre en place. C’est un grand décor, mais certaines des créatures qui viennent ici sont encore plus grandes. Il s’agit donc de faire en sorte de garder les cascadeurs en dehors des zones dont nous aurons besoin pour incruster les trolls à l’image, afin que rien ne passe au travers. C’est simplement pour nous assurer de ne pas avoir à effacer des gars plus tard. Nous ne voulons pas que cela arrive (…) Pour les scènes de ce genre, nous allons améliorer quelques-uns de ces gars (les cascadeurs en costumes de trolls. Ndlr).

Certains d’entre eux n’étaient pas supers. Je pense que ceux qui portent des casques fonctionnent très bien à l’écran, mais certains visages sont un peu douteux. Nous allons donc remplacer quelques têtes, mais une grande partie du temps, il est préférable de les avoir en costumes en train de combattre, afin de garder l’action, le corps à corps. Parfois, quand vous voyez juste un flash de certains d’entre eux, il n’est pas vraiment nécessaire de rajouter des effets spéciaux, mais si vous voyez en gros plan une tête d’orc qui ressemble vraiment à un masque, alors nous remplacerons cette tête (…) nous essayons de garder les vrais acteurs plutôt que de mettre des créatures numériques.

(Nota : Lors de la séquence à Gobelinville dans le premier volet, Peter Jackson et Weta Digital ont préféré numériser tous les gobelins dans un souci de rendu général, en fonction des lumières émises dans un environnement souterrain. Au moment cette entrevue, Smaug est toujours en cours de développement, et ceci même après la sortie de la première bande annonce de La Désolation de Smaug mise en ligne la veille.)

 

Dans La Bataille des Cinq Armées, travaillez-vous toujours avec le logiciel « Massive » ? A-t-il évolué ?

Eric Saindon : – Il a définitivement évolué. L’ensemble des mouvements de base est vraiment ce qui fait que cela fonctionne. C’est tellement mieux à présent. La capture de mouvements, la qualité de la capture est tellement accrue que le rendu apporté par le logiciel Massive est encore meilleur que la réalité.

 

Avec la haute définition, cela rend le travail plus difficile pour les concepteurs de costumes, de décors et les maquilleurs. Sont-ils en colère contre vous ?

Eric Saindon : – Cela signifie qu’ils ont encore plus le souci du détail. Le niveau de détail nécessaire dans une image est fou. A notre niveau, cela concerne les textures, les modèles, l’ensemble de nos activités… Sur le Seigneur des Anneaux, Gollum était constitué de cinq mille polygones. Dans le Hobbit, il est passé à cinq millions de polygones et la quantité d’informations que nous traitons crève le plafond. Nous avions trois cent cinquante processeurs sur Le Seigneur des Anneaux, désormais nous en avons dix mille dans nos locaux.

 

Y a t-il quelque chose dans la première trilogie que vous changeriez avec cette nouvelle technologie ?

Eric Saindon : – A propos du Seigneur des Anneaux ? Non, et je ne pense pas que Peter le voudrait, il n’est pas dans cet état d’esprit. Je pense que malgré les défauts présents dans le Seigneur des Anneaux il préfère les laisser ainsi, car c’est comme cela que le film était alors. Je pense que revenir en arrière et modifier après coup, ce n’est pas correct. Cela ne devrait jamais être fait. Je suis en total désaccord avec ça, et heureusement je crois que Peter l’est aussi.

 

Une dernière question : à quoi servent les petits marqueurs fluorescents que l’on voit sur les décors ?

Eric Saindon : – C’est pour que nous puissions suivre les caméras. Ainsi, les petits points oranges que nous avons mis partout servent de points de repère. Nous prenons un outil topographique, un peu comme ceux que vous voyez sur le côté de la route pour les ingénieurs civils. Nous prenons un outil de sondage et nous marquons chacun de ces points dans l’espace que nous utilisons. Quand nous obtenons l’image numérique, nous pouvons mettre notre appareil photo numérique à l’intérieur et nous savons alors que ce marqueur est à tel endroit, et cet autre marqueur à tel autre endroit. On connaît ainsi la distance entre les deux, pour  obtenir la bonne échelle. C’est la méthode utilisée afin de suivre le mouvement des caméras et que tous les objets numériques soient bien positionnés.

 

– Fin de l’interview –

Retour vers le journal de Benjamin sur le tournage du Hobbit

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