Tolkien, Lewis et la Fantasy [Lev Grossman au Pembroke College]

Nous vous l’avions indiqué en partageant avec vous les plans de la stèle dédiée à Tolkien au Pembroke College, l’annonce officielle de ce projet a eu lieu lors de la Troisième Conférence Tolkienienne annuelle. Grâce à notre ami Piotr, découvrez en davantage !


logo-2014d4Crédit photo :  Pembroke Lecture on Fantasy Literature in Honour of J.R.R Tolkien 

L’équipe de Tolkiendrim vous a récemment donné des nouvelles du projet du collège oxfordien Pembroke, celui de commémorer la période durant laquelle J.R.R. Tolkien l’a fréquenté, avec une sculpture réalisée par son arrière-petit-neveu. Ce projet a été officialisé pendant la Troisième Conférence Tolkienienne Annuelle à Pembroke. Tous les ans, un spécialiste du genre fantasy est invité pour parler de Tolkien, de son œuvre et du genre littéraire en général. Cette année, la lecture fut donnée par Lev Grossman, auteur de la trilogie les Magiciens, bientôt adaptée sous forme de série télévisée. Ayant eu l’opportunité d’y assister, je tenais à partager son contenu avec vous.

Pembroke SteleCrédit photo : Piotr Galeziak

Pour ceux d’entre vous qui parlent anglais, vous pouvez découvrir l’intégralité de la lecture en vidéo d’excellente qualité ci-dessous :

Pour les autres, ou ceux qui n’ont simplement pas le temps d’en regarder l’intégralité, voici un résumé de ce que Lev avait à dire au sujet de Tolkien, Lewis, et de la Fantasy à l’époque et aujourd’hui :

Lewis et Tolkien n’étaient pas spécialement conscients qu’ils étaient en train de « créer » un genre qui donnerait naissance à World of Warcraft ou à Harry Potter. Ils ressemblaient plutôt à des paléontologues, qui découvrent et recréent, fragment après fragment, les contes et histoires perdus, enterrés par le temps.

Enfant, Lev Grossman était déçu que l’histoire racontée par Tolkien se déroule au Troisième Âge, alors que son monde était déjà abîmé, imparfait, plutôt qu’au Premier ou même Deuxième Âge. De la même manière, il note que chez C.S. Lewis, très peu de pages sont consacrées au séjour des enfants Pevensie dans le monde utopique de Narnia : ils passent la plupart de leur temps à combattre le mal qui infeste ce monde, et dès qu’ils y rétablissent la paix, repartent en Angleterre. Pour ces auteurs, la fantasy est un « désir de désirer », (longing for a longing). Ils recherchent toujours à vivre cette nostalgie, conscients du fait qu’à l’instant où leur quête sera accomplie, leur monde sera « parfait », et perdra son charme unique.

Tolkien et Lewis eurent des vies difficiles : la perte de leurs mères, la Première Guerre mondiale, l’époque de transformations incroyables que constitue l’industrialisation massive, l’arrivée des médias, les armes de destruction massive, et les automobiles. Ils essayèrent donc de s’imaginer à quoi un monde toujours entier ressemblerait : il aurait ressemblé à Narnia.


imgp3398Crédit photo :  Pembroke Lecture on Fantasy Literature in Honour of J.R.R Tolkien

Le genre fantasy des années 1970-80 fut une expérience bien différente. C’était devenu un genre très populaire, une industrie : plus besoin de creuser pour trouver les fossiles des dinosaures, ils étaient partout. Il y avait le jeu-de-rôle, les jeux vidéo, les films, les livres et les jouets. La Fantasy était devenue tellement disponible qu’on pouvait littéralement s’en gaver, jusqu’à la nausée. La Fantasy n’était plus composée de fragments, ses mondes devinrent entiers, complets, avec leurs économies, leurs géopolitiques, et une magie pratiquement scientifique, très différents de ceux de Lewis ou Tolkien. Lev Grossman donne l’exemple d’un livre dans lequel un mage décrit sa façon d’éteindre une bougie, en appliquant les principes de physique thermique pour distribuer la chaleur de la flamme dans les murs de la pièce. Il oppose cette description à la magie de Gandalf, magicien qui fait les choses sans les expliquer, ou dit simplement qu’il en est incapable. Un monde bien plus mystérieux, bien plus fantastique.

Lev dit qu’il a eu l’impression de rencontrer un monde perdu deux fois : une fois lorsqu’il fut brisé, et une deuxième fois lorsqu’il fut reconstruit,  perdant ainsi beaucoup de son charme. Le monde magique fut perdu, retrouvé, puis perdu une fois de plus. Sa mission devint alors de faire renaître la Fantasy. Ecrire des livres de ce genre aujourd’hui est quelque chose de très différent de l’époque. Il s’agît de construire un nouveau bâtiment sur les ruines de l’ancien, en réutilisant les mêmes pierres tout en essayant de leur donner une forme nouvelle.

Il est une chose que nous avons en commun avec C.S. Lewis et J.R.R. Tolkien, c’est que nous vivons, nous aussi, à une époque incroyablement marquée par la transformation technologique. Mais leur transformation était palpable, visible, c’était une transformation de l’infrastructure. La notre est presque invisible : c’est celle de la communication, de l’information. On peut comparer un iPhone à un Palantir, mais le Palantir n’avait pas Tinder ni Angry Birds. Nous sommes dans le paradis que nous avons toujours attendu. Nous avons nos Palantiri, mais nous nous retrouvons, tout comme Tolkien et Lewis, dans un monde qui perd beaucoup de son charme. Nous vivons dans un monde brisé, qui semble entier. Pour Lev, la tâche d’un auteur de Fantasy est de ramener ce monde à la vie, ou du moins d’imaginer à quoi ce monde vivant pourrait ressembler.

Article rédigé par Piotr Galeziak, un grand merci à lui !

Alexandre

Administrateur du site depuis fin 2013, Alexandre est un passionné. C'est ce qui l'a conduit à étudier les écrits du Légendaire dans un mémoire consacré à la résurgence de la période contemporaine et à la réappropriation de motifs médiévaux dans le Seigneur des Anneaux, mais aussi à explorer Oxford sur les traces de Tolkien.

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