Tolkien à l’honneur dans La Vie – L’hebdomadaire chrétien d’actualité

L’édition du 27 novembre 2014 de La Vie – l’hebdomadaire chrétien d’actualité – propose à ses lecteurs une synthèse sur la vie et les publications de J.R.R. Tolkien.

 

la vie

Lorsque l’on observe l’héritage du Seigneur des Anneaux, on peut constater le nombre important d’œuvres qui forgent essentiellement leur identité dans l’emprunt à la mythologie germano-scandinave, aux romans de chevalerie, ou encore aux cultures orientales. L’appropriation est en effet un procédé créatif fertile pour la fantasy et il est souvent plus aisé de déceler dans une oeuvre les traces d’une influence extérieure plutôt que la part intime que l’auteur y laisse.

L’amateur de fantasy aurait pourtant tort de confondre l’œuvre de J.R.R. Tolkien – l’une des plus grandes représentantes de la littérature de genre – avec celles de ses multiples héritiers. C’est entre autres la diversité des sources d’inspiration entremêlées qui crée la richesse de cette oeuvre.

Il peut être surprenant de découvrir que derrière la plume qui anime Hobbits, Orques ou Balrogs, se trouve un fervent catholique et que les écrits du professeur Tolkien sont imprégnés des motifs liés à ses valeurs religieuses.

La Vie – l’hebdomadaire chrétien d’actualité, se propose – tel l’Evangile annonçant la Bonne Nouvelle – de nous montrer “le vrai Tolkien” et prend alors le risque de brosser un portrait quelque peu biaisé qui ne mettrait en évidence que la foi de l’auteur et tendrait vers un prosélytisme chrétien.

 

Une mise en perspective convaincante

Le dossier de huit pages entend mettre en relation la vie de l’auteur, sa production et exposer brièvement sa place dans la culture populaire contemporaine. L’article, bien que court, ne se réduit pas à une simple présentation des ouvrages de l’auteur mais offre de nombreux prolongements en évoquant tour à tour le cinéma, la télévision, la radio et en donnant plusieurs conseils bibliographiques.

La biographie abrégée de Tolkien – qui occupe la majeure partie du dossier – offre au lecteur néophyte un parcours de qualité à la fois diachronique mais aussi thématique sous la forme d’encarts explicatifs.

Il faut noter que Marie Chaudey (rédactrice de l’article principal) identifie clairement plusieurs éléments clés de l’œuvre de Tolkien : son refus des références allégoriques (ici, au christianisme), son amour pour la nature et sa crainte de l’industrialisation (remarques complétées plus loin par un encart « Un conteur écolo ? » de Pascal Paillardet) ou encore l’ombre de la mort qui plane sur ses personnages.

On note que les chroniqueurs se placent fréquemment en retrait, et laissent la parole à plusieurs spécialistes et universitaires familiers des études tolkieniennes afin d’enrichir le contenu de leur exposé.

 

De nombreux intervenants

Force est de constater que les rédacteurs du dossier s’entourent d’universitaires et essayistes rompus à la « question Tolkien » et qu’ils utilisent leurs témoignages pour étayer leur présentation. On peut citer – par ordre d’apparition– Vincent Ferré, Léo Carruthers, Irène Fernandez, Grégory Solari, Michaël Devaux. On apprécie que l’article soit émaillé de plusieurs citations extraites de travaux universitaires, ou tout du moins de réflexions élaborées qui permettent, en superposant les points de vue, de parvenir à une certaine objectivité.

 

La question épineuse des motifs chrétiens

Michaël Devaux et Grégory Solari apportent tous deux des précisions sur la place de la religion dans les écrits de Tolkien, dans une interview compilée par Simon Fontvieille. L’accroche de l’article : « Frodon et Gandalf rappellent la figure du Christ » pourrait laisser penser à un glissement vers un discours faisant uniquement l’apologie des valeurs catholiques. Toutefois on apprécie que cette formulation catégorique soit immédiatement suivie d’une question, promesse de plus de nuances : « Qui était le chrétien Tolkien et quelle influence sa foi a-t-elle eu sur son œuvre ? ».

Le magazine, en posant cette question, choisit de ne pas donner à Tolkien le rôle de porte-étendard de la chrétienté – ce qu’on pouvait redouter à la lecture du titre de l’encart, mais aussi de la première de couverture.

L’article cherche à introduire successivement plusieurs concepts-clés de l’œuvre de Tolkien. L’interview présente des aspects cruciaux de la religion chrétienne – espérance, humilité ou encore tentation – et peut paraître de prime abord réservée à des lecteurs familiers de tels préceptes.  On note cependant une certaine nuance dans les propos et un effort pour ne pas verser dans le prosélytisme, tout en présentant J.R.R. Tolkien et ses écrits le plus justement possible.

Tolkien est directement cité : « Le Seigneur des Anneaux est une œuvre fondamentalement religieuse et catholique ; de manière inconsciente dans un premier temps puis de manière consciente lorsque je l’ai retravaillée6 » avant que Michaël Devaux ne modère le titre de l’encart : « Frodon et Gandalf peuvent rappeler la figure du Christ » et ne rappelle pour la seconde fois dans ce dossier que : « Tolkien n’est jamais dans l’allégorie » et que « l’élément religieux est absorbé dans l’histoire et le symbolisme ».

Une nouvelle fois, on constate que la prise de recul sur les connaissances transmises est réelle, en particulier dans l’approche religieuse.

 

Conclusion

Sans succomber à la tentation de la facilité en optant pour un discours complaisant, La Vie semble être assez humble pour s’entourer de spécialistes, et parvient à proposer un article de fond qui essaie de présenter Tolkien le plus fidèlement possible – l’homme,  son œuvre et son héritage.

Les remarques des invités ne paraissent pas détournées au profit d’une récupération que l’on pouvait craindre de la part d’une revue spécialisée. La mise en lumière de l’influence de la religion sur la gestation de l’œuvre permet l’identification claire de concepts-clés extraits de l’œuvre. Ils sont certes présentés comme des thèmes intrinsèques à la chrétienté, mais l’objectif pédagogique est respecté car leur identification profite au lecteur sans toutefois l’influencer outre mesure.

La Vie : l’hebdomadaire chrétien d’actualité. Disponible en format numérique ici.

En bref :

On a apprécié :

  • La qualité de la présentation de J.R.R. Tolkien et de son œuvre.
  • La participation ou les propos rapportés des universitaires et essayistes.
  • Les nombreux renvois à d’autres médias (T.V., radio, jeux vidéos, cinéma, etc.).

On a déploré :

  • Le montage photographique désastreux de la première de couverture et de l’ouverture d’article. Sans queue ni tête et présentant un goût douteux en matière de disposition et de choix des couleurs. On peut même y voir – par deux fois – Tauriel qui semble vouloir décocher sa flèche vers J.R.R. Tolkien ! (Doit on y lire un message ? Ceci est un autre débat, et je vous renvoie à la critique de l’équipe du dernier volet de la trilogie du Hobbit : ici).

Prolongements

Interview de Gregory Solari sur le site du magazine : ici. – on note que les questions sont beaucoup plus orientées dans cette interview numérique.
– Extraits de l’article de Marie Chaudey : ici.
– Article de Tolkiendrim sur les programmations d’Arte du mois de décembre : ici.
– Lectures complémentaires :

  • J.R.R. Tolkien, Lettres, Christian Bourgois éditeur, Coll. Pocket, 2013
  • Carpenter, J.R.R. Tolkien – Une biographie, Christian Bourgois éditeur, Coll. Pocket, 2009
  • I.Fernandez « La vérité du mythe chez Tolkien : imagination et gnose », p. 247-272, dans Tolkien, les racines du légendaire. Cahier d’études tolkieniennes, dir. Michaël Devaux, Ad Solem, 2003

Ainsi que la bibliographie présentée dans le dossier du magazine.

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1.J.R.R. Tolkien, Lettres, Christian Bourgois éditeur, Coll. Pocket, 2013

 

Article rédigé par Aurélien, nouveau rédacteur Tolkiendrim. Félicitations à lui !

5 pensées sur “Tolkien à l’honneur dans La Vie – L’hebdomadaire chrétien d’actualité

    • 17 décembre 2014 à 10 h 15 min
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      Bonjour,

      Il faut prendre du recul sur cette intervention de P.Kreeft car elle semble partiale.

      L’applicabilité du récit de J.R.R. Tolkien lui permet ici d’y associer clairement des thématiques religieuses – chrétiennes en l’occurence. Il identifie et explicite certaines figures de The Lord of the Rings mais son analyse met en lumière leur potentielle portée parabolique – et donc allégorique – propice à un enseignement religieux.

      Ce qu’il dit n’est donc pas fondamentalement faux mais il est faux de résumer l’oeuvre de Tolkien à cette seule lecture.

      Attention aussi au contexte de cette conférence : lecture d’initié pour public d’initiés ! Elle a lieu à la Biola University dont la devise « Above All Give Glory to God » semble proche l’orientation intellectuelle de la conférence de P.Kreeft et de sa lecture – prosélyte – de Tolkien.v

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      • 17 décembre 2014 à 20 h 14 min
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        Effectivement, cette intervention est totalement partiale, et c’est assumé car elle se dirige vers des chrétiens, mais il ne prétend à aucun moment détenir l’unique interprétation de l’oeuvre. Il me semble que toute interprétation d’un récit doit en être ainsi. Cette analyse est donc pas plus et pas moins pertinente qu’une autre.
        En revanche je ne vois pas en quoi elle est prosélyte, vu qu’elle s’adresse à un public de chrétiens…

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        • 18 décembre 2014 à 12 h 41 min
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          Il est impératif de présenter ce type de document précisément car il s’agit d’un discours
          orienté qui peut induire certaines personnes en erreur.
          Assurément, si tu as cette connaissance intime de l’œuvre et cette reconnaissance immédiate de toutes les influences qui ont servis à sa gestation tu ne peux te contenter
          de poster une vidéo prosélytique qui peut assurément être prise pour argent
          comptant par d’autres lecteurs moins éclairés que toi.

          Ainsi, lorsque tu réponds « qu’il ne prétend à aucun moment détenir
          l’unique interprétation de l’oeuvre » je préfère lui laisser la parole entre la cinquième et la douzième seconde de la vidéo, je cite. « It’s hard to talk about christian themes in TLOTR because everything is christian in TLOTR » – j’ai dû louper la nuance dans la
          phrase !
          Plus sérieusement. Lorsqu’il partage le fruit de son analyse avec son public, le conférencier ne laisse pas la place au doute dans ses propos. Il ne me semble
          pas qu’il utilise tant que ça le conditionnel pendant sa démonstration ! (« Le
          personnage le plus important de l’œuvre est son Dieu » ; « Dieu à un
          plan pour tout» ; etc. – je ne mets pas de lien vers les passages précis,
          tu devrais trouver aisément.)

          Tu affirmes « qu’il te semble que toute interprétation d’un récit doit en
          être ainsi ».
          Si telle est ta vision d’une instruction alors je ne peux que te dire que je pense
          tu as tort car en ce qui me concerne l’analyse – et plus encore l’enseignement – doit
          laisser la place à l’interrogation. Plus encore dans le cas d’une analyse sur
          J.R.R. Tolkien où l’injection dans le récit de multiples sources d’inspiration
          fait le sel – doux euphémisme ! – de sa (sous)création.

          À aucun moment donc une analyse présentée comme une accumulation d’exemples prêchant une seule vérité, un absolu – car c’est ce qui se passe dans la vidéo
          – ne saurait être considérée comme une analyse pertinente du Seigneur des
          Anneaux.

          Tu considères que « cette analyse est donc pas plus et pas moins pertinente
          qu’une autre ».
          J’aimerais compléter ton assertion par « si et seulement si elle est placée dans un
          contexte plus ambitieux de transmission de tous les aspects du Seigneur des
          Anneaux de manière à en préserver l’applicabilité par le lecteur» – ce qui
          n’est absolument pas le cas ici.
          Ce n’est malheureusement ici ni plus ni moins qu’une réduction de la portée de l’œuvre
          ce qui implique que le conférencier se trompe dans la mesure où, en réduisant son propos à la seule projection de motifs chrétiens sur le SdA, il transforme d’abord le récit en parabole pour la déchiffrer ensuite.

          Au fait, j’ai utilisé prosélyte – pour qualifier le discours alors que cela aurait
          dû être prosélytique (et donc utiliser prosélyte pour le conférencier).
          Je comprends que l’utilisation du nom au lieu de son adjectif semble t’embêter et peut-être t’avoir induit en erreur.
          J’explique donc ce choix – après correction de la maladresse.
          Prosélytique est utilisé pour sa définition qui ne se limite pas seulement à la tentative de
          conversion mais à celle de propagation voire de propagande dans certains cas.
          L’exposé (ou conférence) étant lui-même, par définition, la diffusion d’un savoir ou d’une analyse, il est ici, proche du sermon et devrait justifier l’emploi du mot.

          Dans l’espoir d’avoir pu éclaircir mon propos et avoir par la même mis en lumière deux approches radicalement différentes de Tolkien.

          La première, celle de La Vie, informative et riche en lectures cursives et développements pour le lecteur. La deuxième, la conférence de Peter Kreeft, argumentative et enfermée par ses propres certitudes dans une logique interprétative malvenue – non pas par certains aspects interprétatifs qu’elle révèle – mais par sa logique elle même qui sacrifie l’applicabilité chère à Tolkien au profit de l’allégorie.

          Cordialement
          A.W.

          Répondre
          • 18 décembre 2014 à 20 h 00 min
            Permalink

            Tu as effectivement loupé la nuance dans la première phrase. Il ne faut pas confondre « Tout est chrétien dans le Seigneur des Anneaux » et « Tout le Seigneur des Anneaux est chrétien ». La première suppose que des principes chrétiens peuvent être appliqués à tous les aspects du Seigneur des Anneaux, ce qui est vrai, car il le montre. La seconde voudrait dire que les aspects du Seigneur des Anneaux ne sont interprétables que d’un point de vue chrétien, ce qui effectivement, verserait dans l’allégorie et irait contre le principe d’applicabilité. Or c’est la première qu’il prononce.

            Corrige-moi si j’ai tort, mais quand je dis « Tout est bon dans le cochon » je ne dis pas pour autant « Tout dans le cochon est seulement et uniquement destiné à être bon ». C’est exactement pareil quand tu dis « Tout est chrétien dans le Seigneur des Anneaux ».

            En fait, je pense que c’est absolument respectueux du principe d’applicabilité. La conférence ne s’appelle pas « Various aspects and interpretations of the Lord of the Rings » mais « Christian themes in the Lord of the Rings ». Pourquoi donc s’attendre à ce qu’il analyse toutes les autres interprétations possibles ? Beaucoup d’autres ont donné d’autres interprétations tout aussi valables. Dit-il au cours de la conférence que ces autres interprétations sont erronées ? Non. Il n’en parle même pas, pour une raison simple : sa conférence parle de sa propre interprétation. Il n’interdit pas à son public d’aller en rechercher d’autres. Tu vas me dire que du coup, son public ignorant de Tolkien va se mettre à ne voir que cette interprétation. C’est vrai, mais c’est leur problème. S’ils ne sont capables de ne voir qu’une seule interprétation dans une oeuvre, c’est qu’ils sont mal renseignés, et ce n’est pas la faute de Peter Kreeft.

            Je trouve qu’au nom de ce fameux principe d’applicabilité, on a tendance à dynamiter les interprétations de Tolkien à tout va. Un film sur Tolkien et la Grande Guerre ? Surtout pas, il ne faudrait pas que les gens croient que le SDA est une allégorie de la grande guerre. Un sujet sur Tolkien et l’écologie ? Non, le SDA est bien plus qu’un plaidoyer écologique. Analyser les ressemblances entre Tolkien et les mythes germaniques et scandinaves ? Non, le Legendarium ne s’en inspire que très librement.
            Pourtant, il y a plein de livres et d’analyses sur ces sujets qui sortent. Si je lis l’article sur l’expo Tolkien et la Grande Guerre, vous ne reprochez pas à cette expo d’avoir TORT parce qu’elle ne se concentre que sur un seul point de vue sur l’écrivain. Parce que l’expo s’appelle « Tolkien et la Grande Guerre », pas « Tolkien ». La conférence, c’est pareil.

            Le christianisme est une source d’inspiration de son oeuvre, comme l’étaient la Grande Guerre, l’écologie et les mythes germaniques. Cet aspect à le droit à une conférence comme les autres, et ce n’est pas parce qu’il ne parle que de ça sans utiliser le conditionnel qu’il réduit l’oeuvre à ça. Il commence par « I think » et il serait assez lourd de répéter à chaque phrase que ce n’est qu’une seule interprétation parmi d’autres. Et le public, s’il est doté de jugeote, est censé la savoir, puisqu’il a vu un panneau marqué « Christian themes in LOTR » et pas « The one interpretation of The Lord of the Rings to rule them all » 😉

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