Retour sur le phénomène des versions longues
Le Hobbit : la Désolation de Smaug vient de sortir en DVD/Blu-Ray et autres supports. Beaucoup attendent déjà la version longue de ce film, c’est pourquoi l’équipe de Tolkiendrim a décidé de revenir sur ce phénomène.
On a tendance à penser que c’est à Peter Jackson que l’on doit cette idée de produire un film en deux formats bien distincts, mais les choses sont plus complexes que ça.
Les contours du phénomène sont flous, en farfouillant dans les abysses d’internet on trouve des traces de versions longues de films antérieurs à la première trilogie de Peter Jackson, mais les informations sont parcellaires et ces versions longues ne semblent pas avoir connu une grande couverture médiatique. Il s’agit donc, la plupart du temps, de versions presque confidentielles que seuls les fans connaissent. Vous aviez déjà entendu parler de la version longue des Tortues Ninja de Steve Barron vous ?
Dans certains autres cas, c’est la sortie cinéma qui génère l’apparition d’une « version longue ». Prenons le cas du film le Bon, la Brute et le Truand de Sergio Léone. Le film durait près de trois heures dans sa version italienne, cependant lors de sa sortie à l’internationale il a été coupé de plus de quinze minutes. La version cinéma italienne apparaît donc comme une version longue du film. Là où les choses se corsent, c’est que cette version n’a vu le jour en DVD qu’en 2003, soit après la sortie des premières versions longues du Seigneur des Anneaux. Il en va de même pour de nombreux autres films comme par exemple le Robin des Bois de Kevin Reynolds. Des dessins animés comme le Roi Lion et la Belle et la Bête sont également touchés par cette vague de réédition en version longue.
A défaut d’avoir inventé le concept de version longue – rappelons au passage qu’il n’est pas rare que des DVD contiennent quelques scènes coupées dans les bonus – Peter Jackson peut donc sans doute être considéré comme l’homme ayant relancé et amplifié le phénomène.
Mais au final, qu’est-ce réellement qu’une version longue ? C’est avant tout une édition du film qui présente des scènes supplémentaires. Ces dernières permettent d’approfondir des aspects de l’intrigue qui n’ont été que peu développés dans la version cinéma du film car elles n’y avaient pas d’importance capitale. Il s’agit donc d’une plus-value qui vient nourrir le film (et aussi remplir les poches des studios pour qui ces versions représentent une manne financière colossale, il faut bien l’admettre). Pour autant cette plus-value ne fait pas d’ombre à la version classique du film, cette version existe et fonctionne correctement sans ces apports. La version longue n’est alors qu’un ajout qui n’est en rien indispensable à un film, un accessoire. Il faut donc considérer une version cinéma pour ce qu’elle est, le produit final d’un long processus créatif. Une fois cette réalité à l’esprit, il apparaît évident que l’on ne peut pas véritablement considérer les versions longues comme les seules à être complètes. Cela reviendrait à dire que le film projeté au cinéma ne serait alors qu’une version inachevée, une sorte de brouillon.
Aujourd’hui on assiste peu à peu à un glissement dans le statut de la version longue. Elle passe du rôle d’ajout qui n’empêchait pas le film dans sa version cinéma d’exister en tant que produit fini, à une version corrigée du film. Si l’on se penche sur la version longue du premier volet du Hobbit, on peut notamment voir que le design du dragon a évolué par rapport à la version projetée dans nos salles obscures, générant au passage quelques faux raccords.
Bien que le design de Smaug ait évolué, des plans où apparaissent les pattes avant de ce dernier sont toujours visibles, comme celui dans lequel il détruit l’entrée d’Erebor
L’évolution du statut de la version longue est encore plus flagrante dans le cas de la Désolation de Smaug. Certaines personnes ont ressenti des problèmes de rythme et de cohérence dans le deuxième volet des aventures de Bilbo et se tournent pleines d’espoir vers la version longue qui devrait corriger ces problèmes. Dès lors, la version longue devient indispensable et le film dans sa version cinéma se voit relégué au rang de version incomplète, inachevée et erronée.
Et pourtant, ce qui est projeté au cinéma est bel et bien un produit fini, fruit d’un long travail d’écriture, de montage, et de post-production. Considérer les versions longues comme un correctif nuit à cette dimension et c’est regrettable car c’est remettre en question la légitimité même de la version cinéma. Considérer que la version longue livrera des corrections nécessaires au film revient donc à remettre en cause l’aboutissement du travail de Peter Jackson. A tort ou à raison, là n’est pas la question. Si une version longue devient un correctif indispensable à un film c’est que le travail n’a pas été mené à terme convenablement. On ne peut donc pas excuser les errances d’un film en sortant de sa manche la carte « version longue », cela reviendrait à redéfinir les contours des sorties cinéma. Il faut donc prendre les versions longues pour ce qu’elles sont : un approfondissement des scènes que le réalisateur n’a pas considérées comme indispensables, mais qu’il prend néanmoins la peine de présenter à ses plus fervents admirateurs ou aux éventuels curieux avides d’en voir encore plus. Les deux formats doivent donc être considérés indépendamment l’un de l’autre, comme des entités à part entière.
Personnellement, étant fan de la saga, quand je regarde un épisode du LOTR je le revisionne toujours en VL au point même que lorsque je le vois en VC à la TV j’ai l’impression qu’il l’ont raccourci encore plus ^^ (drôle d’effet xD).
Pour ma part j’alterne en fonction du temps dont je dispose 🙂
– Alexandre –
C’est sur qu’on a pas forcément 4h de disponible tout le temps 🙂 Mais bon parfois pendant une soirée d’hiver, devant un bon feu, bah là on se les enchaîne vite fait, en Version longue vo et blu ray. L’extase quoi !
http://www.movie-censorship.com/
Voici un excellent site qui compare à peu près toutes les versions différentes des films qui en proposent. Vraiment très intéressant et méticuleux !
Merci beaucoup Jérémy, on va regarder ça 😉
– Hélène –
Il me semble qu’un certain Georges Lucas, il y a quelques années, n’était pas non plus étranger à cette « façon de procéder » (réédition de la trilogie Star Wars avec tout plein de nouvelles scènes et autres inserts! sorte de version longue, revue et corrigée au passage!)
La seule différence réside dans le fait qu’il ait attendu 20 ans pour le faire…
Le cas Star Wars reste cependant un cas bien particulier à part. Lucas a passé une bonne partie de son temps à modifier la première trilogie au fil des différentes sorties et rééditions, le processus est donc quelque peu différent. Il existe au final de multiples versions de ces films, ainsi le procédé dépasse presque la logique des versions longues puisqu’il s’agit ici de vraies corrections qui côtoient des ajouts purs. On sort du cadre des simples ajouts et on dépasse largement les quelques corrections apportées au design de Smaug que l’on peut repérer dans la version longue du premier volet du Hobbit.
– Alexandre –
Il doit quand même y avoir une raison pour la patte de Smaug. C’est un oubli trop gros, il doit y avoir un empêchement technique, je ne sais pas. Ou alors c’est vraiment bizarre.
Quand on voit les énormes faux raccords de la scène de bataille de nourriture chez Elrond, j’en doute…
– Alexandre –
Il faudrait que je revois cette scène mais lors du premier visionnage rien ne m’avait choqué. Quant à Smaug, c’est uniquement des CGI, alors il faudrait voir avec un professionnel, parce-que ça me paraît étrange un oubli pareil.
Durant la scène dont je parle l’un des Nains jette de la nourriture en plein sur une statue. Sur l’un des plans suivants la statue est immaculée…
– Alexandre –
Effectivement j’ai vu ça (grâce à ton commentaire). Ce n’est pas vraiment gênant (comme beaucoup de faux raccords dans le genre, ça ne gâche pas le film, au contraire je trouve ça amusant). Pour Smaug, c’est le genre de faux raccords illogique, ça décrédibilise beaucoup la scène. À voir s’ils corrigent ça dans une prochaine édition du film..
En effet ce faux-raccord n’est pas réellement problématique, mais pour ce qui est de Smaug en effet, la scène perd en crédibilité et nous apparaît comme un brouillon inachevé ce qui est dommage. On verra bien si PJ et ses collaborateurs corrigeront l’erreur un jour 😉
– Alexandre –
Surtout avec la renommée qu’a Weta Digital, faire des erreurs aussi voyantes à ce niveau, c’est décevant. Si c’était un truc à peine visible, d’accord, ça passe, mais là, c’est plus qu’évident. Effectivement, espérons qu’ils corrigent ça un jour.. 🙂
Pour la scène dont tu parles lors du repas avec Elrond, la nourriture n’est-elle pas simplement tombée sans laisser de traces ?
En ce qui concerne la patte de Smaug c’est complètement abusé…
Pour la scène du repas, je confirme la nourriture s’explose sur la statut et laisse une grosse trace bien crade, et sur le plan suivant la statue est immaculée 🙂
– Alexandre –
Ping :Cette semaine en Terre du Milieu (21/04/2014 – 27/04/2014) |
Très très bon article ! Tu expliques très bien ce qu’est et ce que doit être une VL, je trouve. Je suis d’accord sur tout point. Il faut aussi ajouter qu’un film appartient à instant T, à un contexte, à savoir sa sortie au cinéma.
– Blade Runner, qui a été un échec tant commercial que critique lors de sa sortie et qui n’a acquis sa notoriété de film culte qu’au fil de ses nombreuses modifications au fil du temps. On en est à 7 versions pour ce film !
– Avatar, dont Cameron a sorti 2 versions longues, dont 1 a eu droit à sa sortie ciné.
– Le Hobbit 1 dont la VL ne semble contenir qu’une 10aine de minutes en plus dont une scène ou on voit des nains à poil dans une fontaine…
En gros, que doit-on juger, que doit-on voir pour se faire un véritable avis ?… Tout ça devient assez confus. Une chose est sûre, il faut qu’elle apporte une véritable plue-value, comme tu dis. Le SDA fait partie de ceux-là. Pour profiter pleinement de cette trilogie, les VL sont indispensables, selon moi. A l’inverse, pour Le Hobbit, j’ai l’impression que Jackson profite du succès et de l’exemple de celles du SDA pour modifier ou ajouter quelques trucs quasi-inutiles. En sachant très bien qu’il y aura du monde pour se les procurer. Pour moi y’a un côté prendre les gens pour des pigeons dedans. Mais bon.
Merci pour ton commentaire, détaillé et intéressant ! Je partage également ton point de vue sur la VL du Hobbit qui n’apporte pas grand chose pour le premier, et risque – ce que je trouve encore pire – d’être un correctif de certains charcutages maladroits de l’histoire, pour le second.
– Alexandre –
Ping :Le point sur la Version Longue de la Désolation de Smaug |
Le phénomène des versions longues est quelque chose qui a décollé avec l’apparition du DVD et les possibilités de stockage ou même seamless, consistant à rajouter les scènes manquantes directement lors de la lecture du film.
Maintenant il y a effectivement deux types de versions longues:
– l’archétypale « version longue » sortie à toutes les sauces bien estampillée en gros sur la jaquette et qui apporte peu.
– de l’autre côté la director’s cut qui redonne au film ses intentions d’origine. On pense bien sûr à Blade Runner, mais il y a aussi Alien 3, Kingdon Of Heaven (qui change considérablement)… mais aussi Brazil, Terminator, ou même les cas de montage changeant suivant le marché européen ou américain (le zombie de romero en est un bon exemple).
Avant que Jackson ne sorte ses versions longues, il y avait un gros marché auprès des cinéphiles pour les versions longues ou alternatives. L’exemple de l’édition française de The Killer par HK vidéo est pas mal avec son deuxième disque proposant un rough cut inédit et passionnant que même John Woo avait oublié! De même que les fantasmes autour d’une hypothétique version longue du 13ème guerrier (qui n’arrivera jamais…).
Pour ce qui est des versions longues des films se rapportant à la terre du milieu par Jackson, les versions longues sont clairement ce que le réal voulait faire. Ne serait-ce que la trilogie de l’Anneau qui, en version longue, gagne paradoxalement en rythme et en équilibre par rapport aux sorties ciné. Ces dernières restent pourtant très bonnes et on sent qu’il y a le souci de bien faire et d’éviter de vendre un produit mal fini.
Une illustration est le Pacte des Loups, 5 minutes amputées au montage pour permettre une séance supplémentaire au cinéma par jour. Transposées dans le montage DVD, elle donne un autre équilibre à la narration, seulement 5 minutes!
Maintenant l’effet pervers reste qu’il y a le risque de déserter les salles dès qu’on sait qu’une version longue sortira. Un exemple à venir, Exodus de Ridley Scott qui aurait été amputé d’une demi-heure. Si c’est avéré autant attendre la director’s cut en dvd/blu-ray